Comment ma formation sur la CNV a foiré :
Avec Greg, membre du discord du Canard Refractaire, j'ai donné une petite formation sur la Communication Non Violente (CNV) il y a quelques semaines. Le replay de cette formation est disponible ici .
Théorisée par Marshall Rosenberg La CNV, est une méthode de communication, qui a pour but de résoudre des problèmes avec quelqu'un en particulier.
Habitué à donner ce genre de formation dans les milieux de l'éducation populaire ou de l'entreprise, je trouve que cela n'a vraiment pas bien fonctionné hier soir.
Sans rentrer sur la forme (PPT un peu cheap) et le duo avec Greg (que je ne connaissais pas si bien), je crois que fondamentalement, je n'avais pas compris les attentes du public militant qu'il y avait en face de moi.
Cet échec relatif m'a beaucoup fait cogiter, et je voudrais ici proposer un plan pour une prochaine formation sur le sujet.
Je travaille ici uniquement sur le fond, sur le discours, pas sur la forme de la formation qui devra être retravaillée.
Les principales critiques des personnes du discord réfractaire / des militants :
Dans le chat ou dans les échanges qu’il y a eu après la conférence, certains points sont revenus.
Je les note donc ici pour pouvoir re-construire une formation qui répondra mieux à leurs attentes.
- L'énervement est utile pour alerter de la gravité
- La violence est nécessaire à la lutte des classes
- La paix dans le dialogue social est au service du patronat
- La CNV est manipulatoire, car elle joue sur les sentiments Fondamentalement, le gros du problème était là :
Comment parler de non-violence quand on est matricé avec Karl Marx qui parle du conflit comme moteur de l'histoire ?
Introduction
- Nos milieux militants sont des milieux violents (Cf. le discord réfractaire qui a eu des soucis de modération)
- Cette violence entre militants démotive ou dégoute les militants (et laisse un avantage stratégique à nos opposants)
- Il faut apprendre à résoudre nos conflits internes sans oublier les raisons de notre militantisme
CNV et politique
Le capitalisme rend le monde violent
- La violence économique est terrible
- Cette violence économique amplifie d'autres violences déjà existantes (raciste, sexiste, etc…)
-
Il faut savoir répondre à cette violence économique par d'autres violences contre les capitalistes :
- Économique (grève, sabotage des machines…)
- Symbolique (articles de presse, moqueries, clash, œuvre artistique engagé… )
- Physique (lutte armée …) // pour les plus révolutionnaires d'entre nous
- Cette contre-violence permet d'instaurer un rapport de force à l'avantage des dominé.e.s
La CNV ne parle pas de la violence de la société
- la CNV se borne à résoudre les problèmes entre seulement 2 personnes
- la CNV se borne à résoudre les problèmes entre seulement 2 personnes
- (répéter 45 fois les 2 phrases plus hauts pour être certain que la chose a été comprise)
- Nous parlons ici de CNV d'abord pour résoudre des problèmes entre militants
Les rapports de force politique entre 2 individus
- La politique et les rapports de domination peuvent rentrer dans un dialogue entre 2 personnes
- Il faut distinguer lutte des classes (contre un système économique) et lutte contre des individus.
- Détruire 1 individu ne résout pas le problème du capitalisme
- Même dans le cas absurde où tous les bourgeois seraient éliminés, l'idéologie du capitalisme et ses rapports de classes resteraient dans la psychés des dominé.e.s
- Une classe sociale est une construction psychologique avant d'être incarnée dans des individus
Faut-il être violent contre son patron ?
- Il faut être violent contre les actes et les choix politiques et économiques qui sont fait contre nos intérêts
- Détruire psychologiquement un patron n'apportera pas grand-chose si ce n'est de le retrancher dans une escalade de la violence
- Détruire physiquement un patron amènera un nouveau patron
- L'individu "patron" est une conséquence du capitalisme, il est interchangeable
- Stratégiquement, il vaut mieux s'attaquer aux causes d'un système et aux actes humains plutôt qu'à la psychologie d'individus en bout de chaîne
- Résumons : il faut être dur avec la bourgeoisie et ses actes et doux avec les humains
Le milieu militant est un milieu qui communique avec beaucoup de violence
- Engagé dans de perpétuels combats, les militants ont une tendance à reporter la violence que le capitalisme engendre dans les espaces militants
- Les phénomènes de pureté militante, de culpabilisation, de trolls, etc… sont souvent vécu par de nombreuses personnes comme des agressions
- Cette pédagogie de la violence entre 2 militants me semble rarement efficace, on ne comprends pas mieux et on n’agit pas mieux lorsqu'on a été blessé
- Les conséquences de cette manière de communiquer entre 2 individus sont souvent désastreuses pour nos combats
- Certains mouvements écologistes tel que Extinction Rebellion mettent en pratique bon nombre de préceptes de la CNV.
La CNV, c'est quoi ?
On expliquera maintenant ce qu'est la CNV
La Communication, c'est quoi ?
- L'art de transmettre des informations d'une personne à une autre
- Ici, on ne parlera que de la communication entre 2 personnes
La communication est complexe
La communication est toujours complexe car elle introduit plein de paramètres :
- Technique : élocution, bruit ambiant, volume de la voix
- Degré de Synchronisation : lettre papier, email (communication asynchrone / froide), tchat, discussions en tête à tête…
- Sentimental : état physique et/ou psychique, attirance ou dégoût physique de l'interlocuteur…
- Culturel : région géographique, type d'éducations, expériences…
Bref, un même mot, dans un contexte donné avec des personnes peut être compris totalement différemment dans un autre contexte.
La communication interpersonnelle n'est jamais étudiée
La communication entre deux personnes n'est jamais réfléchie ou étudiée à l'école.
Nous apprenons des méthodes pour écrire des dissertations en 3 parties, mais l'éducation n'a pas de méthodes pour évoquer ses propres sentiments, ses doutes, ou parler à ses ami·e·s.
Pire, dans la culture populaire machiste, les sentiments et les émotions si nécessaires à la communication, sont relégués à des postures d'enfance ou de femme-fragile.
C'est pour tout cela qu'il est important de s'interroger sur nos méthodes de communication interpersonnelle.
Savoir faire un retour (ou feed back) à une personne lorsque l'on communique est une question de survie pour nos organisations militantes.
La violence, en communication entre deux personnes, c'est quoi ?
C'est résumer une personne à un type de personne :
- Tu n'es rien qu'un.e ….
- Tu es juste un.e …
- Tu es un.e …
Aucun être ne peut être défini. Aucun acte ne peut définir une personne pour toujours. Chaque humain évolue en permanence.
Vouloir le bien de l'autre, c'est l'autoriser à être quelqu'un d'autre demain.
C'est enfermer QQN dans une répétition
- Tu laisses TOUJOURS trainer tes chaussettes
- Je ne peux JAMAIS te faire confiance
Les mots toujours et jamais sont des mots qui enferment. Par ailleurs, ils décrivent des choses factuellement fausses. (On n'est pas toujours en train de faire QQCH)
Il est donc préférable de ne pas utiliser ces mots en CNV
C'est Manipuler
- Il faut distinguer une argumentation d'une manipulation.
- La manipulation est là pour faire faire des choses à quelqu'un sans que l'interlocuteur s'en rende compte. Sans qu'iel comprenne ce qui ce passe.
- Même si c'est pour son bien la manipulation est toujours une violence potentielle.
Y a t'il des communications violentes utiles ou nécessaires ?
- Oui lorsqu'il y a un danger grave et imminent
- Exemple : crier sur un enfant qui traverse la rue alors qu'il y a de nombreuses voitures qui défilent
- En criant on créer un choc manipulatoire qui permet une réaction rapide
- Évidemment, dans un 2e temps, je préconise ensuite de prendre le temps pédagogique nécessaire pour expliquer le danger des voitures
Le modèle OSBD
C'est une méthode de dialogue avec un interlocuteur qui permet :
- de clarifier les problèmes d'interprétation du récepteur
- de générer de l'empathie sans rentrer dans la manipulation
- de sortir d'un problème avec une solution au problème
Ce modèle de discussions en 4 étapes: (Observation, Sentiment, Besoin, Demande) permet de mettre en place une Communication Non Violente.
Résumé de la méthode OSBD en 1 phrase :
Quand [ Observation ] je me sens [ Sentiment ]
parce que j’ai besoin de [ Besoin ].
Est-ce que tu serais d’accord pour [ Demande ] ?
Avant de rentrer en Communication Non Violente
- Il faut s'assurer que l'interlocuteur est disponible pour discuter (temps disponible, calme intérieur, ouverture d'esprit…)
- " Est-ce que tu aurais 3 minutes pour que l'on puisse discuter ? "
Séparer les faits des individus
- En se mettant d'accord sur des faits observables, on sort de l'attaque de personnes.
- On observe des faits qui se sont passés, on ne juge pas des individus.
- Les faits sont circonscrits dans un moment précis (temps, lieux) et factuel (dénué d'interprétation).
- Exemple : "Tel jour à telle heure, je t'ai vu arriver à 15h 00 alors que le départ de la manif était prévu à 14h30".
- Il faut ensuite que l'interlocuteur s'exprime sur ces faits observés. Il peut refuser ou accepter cette observation.
Contester les faits
- l'interlocuteur peut contester cette observation :
- L'observation du fait : ma montre me disait 14h 30, elle est sans doute déréglée
- L'importance du fait : C'est vrai, mais je croyais que tout le monde se moquait de l'heure d'arrivée en manif
- Expliquer le fait : Oui, j'ai déménagé il y a 1 semaine, et je n'ai toujours pas trouvé le meilleur chemin pour venir
Si vous êtes d'accord avec la contestation des faits. La CNV peut s'arrêter là.
Valider les faits
- "Oui j'ai été en retard tel jour à telle heure"
Exprimer son ressenti suite à ce fait au moment du fait
L'idée de ce point est de créer un lien empathique
- " Ce retard m'a inquiété et m'a angoissé "
- " Je me suis sentie abandonnée "
Individualiser le problème
- Exprimer SON sentiment permet d'individualiser le problème sans le nier
- A l'inverse, annoncer un problème comme étant partagé par un groupe peut-être vécu comme quelque chose de très violent : "Tout le syndicat n'en peut plus de tes retards"
- Après avoir exprimé son ressenti, il est important de voir si l'interlocuteur l'a entendu. Parfois, cela se fait par un regard.
L'empathie est-elle manipulatoire ?
Empathie = J’arrive à comprendre ce que ressent l’autre
Sympathie = Je ressent ce que ressent l’autre
- Il n'y a de communication qu'entre 2 humains
- Chaque humain est composé de sentiments et d'émotions
- Toute communication entre 2 humains implique des émotions
- La communication est toujours plus juste, plus proche de la vérité, quand les sentiments sont explicites
- Chercher la sympathie, c'est être manipulatoire, chercher à comprendre les sentiments des autres (être empathique), c'est être pour nous plus juste dans la communication
Exprimer son besoin
- Dans ses conférences, Marshall Rosenberg, explique que les disputes et les cris sont très souvent issus de besoins qui n'arrivent pas à être exprimé
- Exprimer son besoin permet de se comprendre et sortir d'une dispute avec l'aide de l'autre
- Parler de son besoin permet de sortir du jugement moral (le bien / le mal)
- Je demande une solution, non pas parce que tu as fais QQCH de mal, mais parce que cela m'aiderait à combler un besoin
- En faisant cela, on inverse aussi le poids de la demande sur celui qui a mal agit à celui
- Exemple : " J'ai besoin de me sentir en sécurité, entouré de gens que je connais quand je vais en manif, [c'est pourquoi je voudrais que tu arrives à l'heure]
Besoin et stratégie
- Un besoin est personnel
- Une stratégie a pour but de résoudre le problème d'un groupe
- Dans la CNV, on ne peut pas parler pour d'autres personnes ou pour un groupe
- Cf. la partie "CNV et Politique"
Demander, négocier une solution vers le haut
- Si toutes les étapes précédentes ont été réalisées, cette dernière étape dite de demande devrait être simple
- Il est très rare de trouver des interlocuteurs/interlocutrices qui ne seraient pas sensibles à vos sentiments exprimés en besoin
- Une demande ne doit pas être ordonnée, ni avoir un caractère impératif (exigence), mais doit rester assez ouverte pour que l'autre puisse l'accepter ou la négocier
- Un des bons "truc" pour éviter une "exigence cachée" est de se demander comment on réagirait si l'interlocuteur refuse cette demande
- Exemple ; Est-ce que tu pourrais essayer d'arriver à l'heure à la manif ou me prévenir rapidement si tu as du retard ?
Conclusion
La CNV n'est pas un produit miracle, ni la solution pour vaincre le capitalisme. La CNV existe pour résoudre des problèmes. Le milieu militant étant souvent violent, il me semble particulièrement judicieux de le mettre en place dans nos organisations.