J'ai ressenti un certain énervement lorsque j'ai regardé les 2 premiers épisodes de la saison 4 de la série " Le bureau des légendes ",
Comme dans les épisodes précédents, les informaticiens sont réduits à des clichés absurdes et dépassés. Je voudrais prendre 5 min ici pour en parler.
Warning :
On ne peut pas comparer la situation des informaticien·ne·s à la situation des non-blancs, les femmes, les LGBTQI+* etc…
Les discriminations qu'iels subissent sont 1000 fois plus fortes et plus graves que ce que les informaticiens ne pourront jamais vivre. On ne pourra jamais ressentir ni comprendre ce qu'iels subissent et à quel point ces attaques sont graves pour leurs vies.
En revanche, les mécaniques de fabrication de ces clichés et les cadres d'analyses de discriminations, peuvent, parfois, être réutilisé pour d'autres catégories de populations. Je me sert ici de ces cadres d'analyse emprunté pour décrire les clihés que je ressens quand on me traite de " geek ".
Par ailleurs, en tant qu'élu syndiqué dans ma boite, je me dois de défendre l'intérêt des travailleurs de l'informatique. Les clichés que véhiculent cette série à l'égard de ma profession sont, je crois, à dénoncer.
Les informaticiens ne tombent jamais enceintes
Tous les personnages d'informaticien de la série sont des hommes, blancs, de moins de 25 ans.
C'est une constante reprise dans la très grande majorité des films et séries que nous regardons depuis les années 90.
Mon 1er souvenir d'informaticien·ne·s était Blair Sandburg dans la série des années 90 The sentinelle.
C'était un homme blanc, jeune, maladroit, qui avait du mal avec les filles et qui passait ses journées à hacker la CIA. Il était le faire-valoir obéissant de Jim Ellison (La sentinelle) qu'il sauvait en toutes occasions.
J'ai l'impression que depuis les années 90 rien n'a changé.
Il est normal de voir des informaticien·ne·s travailler dans des caves
Le cliché de l'informaticien·ne·s dans sa cave sombre a la vie dure.
Là où tou·te·s les autres salarié·e·s de la série ont le droit à des bureaux lumineux avec des fenêtres, les informaticien·ne·ss en sont privés.
On rappellera que, légalement, faire travailler un·e salarié·e dans des bureaux sans fenêtre peut être un motif de harcèlement dans le cas d'une procédure…
Mieux, le bureau des informaticiens sert d' atelier de bricolage et d'entrepôt de matériel.
C'est sans doute un détail pour beaucoup de gens, mais les informaticien·ne·s qui sont aussi des électronicien·ne·s sont assez rares. Ce sont deux métiers vraiment différents et cela depuis les années 80.
Donc non, les informaticien·ne·s, n'ont aucune compétence pour réparer les lave-linges ou les télécommandes qui sont cassées.
Autre détail : laisser un fer à souder et autant de bazar sur son espace de travail alors qu'il y a du monde dans la pièce renvoie l'image d'un informaticien qui ne se préoccupe pas des gens et du monde en dehors de son ordinateur.
En créant un espace sombre et séparé des autres bureaux, on enferme et on éloigne les informaticien·ne·s du reste du groupe.
Les informaticiens doivent servir les vrais héros
Il faut d'abord regarder les plans.
Comme dans beaucoup de séries, on a toujours un·e chef·fe et/ou un héro qui regarde au dessus de l'épaule d'un informaticien·ne·s. Il analyse la situation par l'informaticien·ne·s.
L'informaticien·ne·s, est alors relégué à l'état d'outil, d'objet qui fait office d'interface entre " le monde des ordinateurs " et les idées géniales du héro.
En cas de rébellion, on le dispute : Dans cette scène, un des informaticiens de la DGSE est assis par terre et finit son travail avant une réunion.
1ère chose, en 8 ans de travail dans l'informatique, je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui travaillait assis par terre.
Mais il faut s'arrêter sur le regard de la cheffe :
Je l'ai déjà ressenti quand un de mes supérieurs venait me chercher pour me gronder quand il y avait un problème. C'est le même genre de regard qu'un parent fait à son enfant quand il est en retard à table.
L'informaticien·ne·s est toujours rabaissé à une condition d'enfant ou d'adolescent-mal-dans-sa-peau.
Techniquement, ce sont les plus vieux informaticien·ne·s qui connaissent le mieux les anciens langages très proches des machines tel que le C et l'assembleur et donc qui sont souvent les plus utile pour la sécurité.
Le cliché de l'enfant-informaticien n'a pas de sens.
Les informaticien·ne·s ont une place de "cachés" :
Ils donnent les informations cruciales avant la mission, ils aident le héros pendant la mission, mais ils ne décident jamais des plans d'actions et ne sont jamais dans l'action. D'ailleurs, on décrit toujours les personnages d'informaticien·ne·s non-musclés, craintifs et enfantins. La virilté est pour le héros.
Cela pose des problème énorme sur la construction de la masculinité :
Mettez vous à la place d'un jeune qui construit son identité: Il a le choix en un homme viril-musclé-qui-ne-pleure-jamais ou un informaticien·ne·s-adoléscent-mal-dans-sa-peau, asocial et maladroit. Dans les 2 cas, l'image du mâle n'est pas tenable.
A la fin de l'histoire, on applaudira bien fort le héros pour son courage et sa force.
Les faire-valoir, seront oubliés.
Pas d'augmentation pour les "geeks"
Dans l'épisode S04E01, une "RH" vient auditer à Raymond Sisteron un des personnages clef du BDL.
Elle se rend compte que son personnage ne connaît ni le russe ni l'informatique, qualités censées être nécessaires pour le poste.
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On a donc un poste de direction qui est occupé, non pas parce qu'il a les compétences techniques (russe, informatique) ou managériales démontrées, mais " parce qu'il est bon ".
Ce genre d'auto-justification arrogante et illogique font échos à ce que beaucoup de mes copines féministes me disent.
Encore une fois, c'est 1000 fois moins grave que ce qui arrive aux femmes. Mais, dans cette série, à compétence supérieure, il semble impossible qu'un informaticien soit dans un poste de direction. Plafond de verre ?
Dans l'épisode suivant, on a le droit à une autre caricature de geek :
2 informaticiens sont décrits comme ayant passé la nuit dans leur canapé.
" Il travaillent jours et nuits, ils vivent presque ici " .
Comme dans beaucoup de milieux étudiants, il peut arriver que des informaticien·ne·s travaillent la nuit pour rendre des devoirs urgents. J'ai fait cela à 20 ans de la même manière que l'ont fait mes ami·e·s qui ont fait des prépas littéraires.
Passé 25 ans, je n'ai jamais vu un informaticien·ne·s travailler toute une nuit. Je veux bien que le milieu de la recherche en Russie soit spécial, mais, il me semble qu'a leur âge, la nuit, les étudiants boivent des bières avec leur ami.e.s…
Ce mythe de l'informaticien·ne·s qui ne dort pas est problématique, parce que, une fois dans l'entreprise, cela entretient l'idée qu'un patron peut demander de travailler très tard. " C'est un geek, il aime cela bosser la nuit".
Pointe d'espoir :
A la fin de la visite, quand l'héroïne demande si son guide, lui même informaticien, si il travaille la nuit. Il répond par la négative et refuse cette image de " geek ".
A partir de ce moment là, on comprend qu'en refusant l'assignation à l'imaginaire du geek, il peut être considéré comme normal et pourrait même avoir une relation amoureuse avec l'héroïne.
Ce mot geek est une assignation, un renfermement dans un type de personnage qui n'existe pas dans la réalité.
Il me semble important, de rappeler que le terme de geek ou de nerd, est insultant pour les gens qui travaillent dans le domaine de l'informatique.
Pour exprimer à quel point ce mot est problématique, j'ai mis une compilation des premiers visages que l'on trouve lorsqu'on cherche geek dans Google Images.
Je crois que personne ne veut ressembler à cela.
Conclusion
Bien évidemment, la condition des informaticien·ne·s est une condition de privilégié, notre salaire reste très élevé par rapport à la moyenne de la population francaise.
Cependant, la répétition de ces stéréotypes (masculin, blanc, enfantin, asocial, travailleur de nuit, maladroit, sans muscles, inapte à la séduction…) a des conséquences sur la construction de notre personnalité.
Dans le monde de l'entreprise, être trop geek fait de vous un être inadapté et ne l'être pas assez fait de vous un faux informaticien. Cette caricature est intenable.
Mes collègues informaticien·ne·s ressemblent aux vôtres : ils n'ont pas 20 ans, ils font du sport, ils sont fatigués quand ils rentrent le soir, ils jouent de la musique, ils sortent en boite, ils sont maman ou papa… Il parait même que certains sont syndiqué·e·s !
Le Bureau des Légendes, comme n'importe quelle série française, enferme les gens de ma profession dans des stéréotypes qui peuvent devenir pesants.
Je ne suis qu'à l'épisode 2 de la saison 4. En écrivant cet article, j'espère me tromper en découvrant des informaticien·ne·s adultes, équilibrés dans leur vie sociale, amoureux et respectés par leur hiérarchie.